Quelques préalables importants, avant de me fâcher gravement avec la moitié de l’hexagone motocycliste :
• Ce post vise uniquement à réveiller un forum endormi par un sujet volontairement très polémique, fondé sur une réalité : «
la part de marché des japonaises est passé en 20 ans de 90 à 60% et aucune marque de l’Archipel ne progresse. Pourquoi ? »
http://www.moto-station.com/article1033 ... ances.html
• La question ne concerne pas le marché mondial, il s’intéresse au seul comportement des acheteurs français. La sensibilité des chinois sur le sujet, ce sera pour une autre fois...
• La majorité des motos vendues reste japonaise, le parc roulant aussi dans des proportions encore plus marquées.
• Chacun possède bien sur la meilleure moto au monde, parce que c’est la sienne et qu’il l’aime.
Et c’est très bien ainsi. Il ne s’agit pas de descendre ici les japonaises, juste d’échanger, pour ceux que ça intéresse, sur une évolution du comportement de notre communauté.
• L’origine de nos motos est sans doute bien moins importante que le fait de rouler. De même que raconter des conneries sur le forum ne remplacera jamais le plaisir de glisser la clef de contact dans la serrure de sa bécane… ou aller rouler dans la brume entre Beslé et Sixt sur Aff (Ille et Vilaine), dans la brume de ce dernier dimanche matin.
Je recommande ici à ceux que cette question indiffère d'éviter de lire la suite, qui promet d'être assommante et inutile. Je leur souhaite donc ici une bonne nuit.
Ces précautions posées, j’ai
mon avis, forcément très contestable (allez les snipers, en joue, c'est là que commencent les scènes d'action!), sur ce qui pousserait aujourd’hui plus qu’hier le motard en béret à choisir européen ou américain plutôt que japonais, à peu près 4 fois plus souvent qu’il y a 20 ans (oui, quand même…).
Comme déjà mentionné, les performances, l’élaboration du produit, la sophistication des solutions, le prix, la qualité de fabrication, le SAV, la robustesse ne sont pas pris en défaut et seraient même plutôt à l’avantage des nippons, dès lors qu’on s’en tient à une analyse objective et rationnelle.
S’agirait il dès lors d’explorer d’autres voies pour expliquer ce paradoxe…
• Le vieillissement des propriétaires de moto (hors l’argument classique de pouvoir d’achat des vieux) recentre souvent leur attente sur la recherche de
sensations de conduite plus que de performances absolues. Pour faire simple, à partir d’un certain âge on se convainc facilement qu’on se sera finalement jamais pilote de GP et que les limitations de vitesse «
plus un petit chouïa pour la route » suffisent amplement à combler le
païlote, dès lors que ça tournicote un peu et que ça dure longtemps.
En contrepartie le ressenti mécanique tripal devient une exigence absolue.
Dans ce registre, l’onctuosité légendaire des 4 pattes peut laisser certains (…) sur leur faim quand vitesse de pointe et puissance full-power ne concernent plus que les amateurs – que je salue avec respect- de sportives débridées : une moto surpuissante bridée est bien moins agréable qu’une moto conçue dans la limite de jauge des restrictions françaises, dont le moteur est plein. Si l’architecture du 4 en ligne favorise la puissance par la faible inertie des petites pièces en mouvement, les bi et tri cylindres offrent couramment 20% de rab de couple, à cylindrée égale. Cette mesure du couple maxi –pour moi
couple= bonheur de conduire-, la longueur de plage d’utilisation d’un couple élevé -notamment à bas et moyen régime, là où se passe 90% de l’histoire-, le ressenti sensuel des palpitations intimes du cœur mécanique, le son rauque et la rigueur du châssis–spécificité des motos européennes, liée à leur adaptation à des terrains de jeux locaux mouvementés- compensent la restriction de vitesse de pointe, et bien au delà.
• L’
esthétique des japonaises répond imparfaitement aux repères européens… parce qu’elles sont dessinées par des japonais, dans le cadre de leurs propres repères. Les références Manga sont d’un exotisme visuel certain mais ne flattent pas forcément le sens du beau d’un œil cocardier. Il existe également une partie de la production qui semble rigoureusement insipide, sans inspiration, tant elle fleure le bureau d’étude où le décodage marketing tendanciel dicterait sa loi au sens du beau, dans lequel excellent les italiens. Les marques européennes et américaines ont leur spécificité esthétique, avec des codes, des particularités, des héritages qui excitent l’imaginaire par des références historiques. A 100m une Guz’ est évidemment une Guz’, un flat est une BM, une Speed une Triumph, une Ducat’ sans équivoque une Ducat’, une KTM une KTM, une Harley est copiée mais inimitable... Sans connaître préalablement un modèle, saurions-nous d’un coup d’œil lointain distinguer le pedigree d’une niponne ?
On aime trouver que sa moto a de la gueule, de 3 quarts arrière, quand on la regarde au soleil couchant à la terrasse d’un café bondé de jolies filles.
• L'
identité mécanique: si je vous dis bicylindres à plat, ou 2 cylindres en V à 90° face à la route, ou bicylindres à 90° dans un cadre treillis, ou gros bicylindre à 45° avec beaucoup de bruit, ou 3 cylindres en ligne, « l’esprit » de la marque s’impose immédiatement, avec son wagon de typicité, de personnalité, de projection dans « un monde mécanique ».
• Les Triumph, Guzzi, Ducati, BM, et même tout récemment Norton-par l’affichage d’un simple bicylindre vertical et d’une joli carter chargé de gloire- renvoient à une histoire qui continue de se composer en modernisant de vieilles convictions avec des avancées de modernisme. Sans pourtant déraciner les références d’origine.
La démarche nipponne ne cherche pas à capitaliser sur ces origines, ces icones affectives : il n’existe pas d’héritière visuelle, même lointaine, de la Honda CB750, la Yamaha 500XT, la Kawa Mach II pour évoquer de grandes machines historiques. Seule la Goldwing véhicule son histoire à travers les décennies, améliorant une identité initiale forte, comme la GS qui vient de fêter ses 30 ans sans renier son aïeule.
Des racines et des ailes, c’est plus intéressant que le Star Académie, à long terme.
Les motos japonaises se révèlent des produits irréprochables dans leur usage, mais ne causent peut être pas autant que les occidentales à cette petite part de romantisme qui habite certains motards, celle qui fait qu’autour d’une moto, il y a un rêve, un fantasme délicieux, la relation affective proche de ce qui unit un cavalier à sa monture, ce qui amène les godons à appeler un bateau d’un pronom normalement interdit aux objets, «
She ».
Un dernier petit coup d’œil humide au moment de refermer le garage en lui disant droit dans le blanc du phare: «
Toi, je t’aime vraiment ! ».
Ugh, j'ai parlé.